On me demande souvent pourquoi je suis devenu professeur d'anglais car pour bon nombre de personnes "éducation" rime avec "vocation".
La vocation... Oui, cette force mystérieuse a bel et bien joué un rôle dans mon devenir car appel il y eut! Mais longtemps je me suis demandé si j'avais été appelé à devenir l'un de ces hussards de la République ou si je l'avais de façon inconsciente appelé moi-même de MES voeux.
Depuis peu, je détiens la réponse à cette question fondamentale, une réponse qui, à la manière d'une flamme vacillante, illumine les parois ténébreuses et peu fréquentées de mon moi le plus intime.
Pour comprendre mon statut actuel de professeur d'anglais, il faut remonter au tout début des années 80. Mon année de sixième occasionna chez moi un véritable traumatisme. Placé dans un internat très prisé duquel je ne sortais que le week-end, j'avoue avoir oublié la plupart des choses que j'y ai vécues, notamment les cours. L'année suivante, j'intégrai au mois de janvier le collège de quartier et je garde toujours présent à l'esprit ce que j'estime être mon premier cours
d'anglais: une enseignante avenante, une salle de classe chaleureuse et cette langue aux accents étranges qui, dès l'entame du cours, m'enveloppa telle un nuage protecteur. Je devais être au paradis!...
Mon père était exceptionnellement venu me chercher à l'école à l'issue de ce premier jour et tandis que nous nous dirigions vers la maison, il me demande comment cette journée s'était déroulée. Je la lui décrivis puis je lui fis part de mon engouement pour l'anglais. Néanmoins, je lui rapportai la conversation que j'eus avec mon enseignante qui avait désiré s'entretenir avec moi à la fin du cours et qui s'était étonné du fait que je parlais si bien anglais. Mon père nous narrait souvent l'histoire du Cameroun et de la division de son territoire entre la France et l'Angleterre
au terme de la défaite allemande en 1918. Désireux de me rapprocher de ce père distant et sévère, j'invoquai, pour justifier de mes aptitudes, le fait que mon père était originaire de la partie anglosaxonnedu Cameroun. Mon enseignante ne vit que du feu mais mon père ne comprit pas que je voulus lui attribuer ce "talent" et répondit de façon péremptoire: "Ce n'est pas çà; je viens de la partie francophone!" Ce fut là mon premier rendez-vous manqué avec mes origines et avec mon père mais je ne le compris plus tard, suite à la frustration générée par la longue série de mains tendues qui ne furent jamais saisies...
Oui, mes parents ne furent pas des gens faciles: à vivre, à comprendre, à aimer! Au point de comprendre rapidement qu'il me fallait me trouver un refuge, un ailleurs, un entre-deux au sein duquel je pourrais faire naître ce que j'étais appelé à devenir, ou ce que j'appelais à devenir.
Je vivais déjà dans un entre-deux: celui de ces deux parents qui ne me disaient absolument rien d'eux et dont le silence ne faisait qu'accroître mon vide culturel et identitaire. Ni totalement français et encore moins Camerounais, je me suis rapidement tourné vers Stevenson, Verne et autres Dumas. A cet égard, je me rappelle que lorsque nous finissions les courses à l'Intermarché du coin, j'harcelais ma mère pour qu'elle m'achète un livre. La culture étant une des valeurs que mes parents défendaient, ma mère accédait souvent à mes requêtes. Je devins ainsi en quelque sorte boulimique, engloutissant les oeuvres romanesques à une vitesse qui ne semblait pas même générer de plaisir. J'étais devenu un "tiers instruit" résilient.
Dans le même temps, fort de mes nouveaux "amis", je m'intéressai à Bob Marley, m'étant approprié une vieille cassette intitulée "Kaya" que j'écoutais en boucle. C'était aussi l'époque où je montais dans ma chambre en pleurant après avoir vu les corps décharnés d'Africains soufffrant de famine.
Puis vinrent les années d'adolescence, le milieu des années quatre-vingts, cette période de radicalisation où s'opérait un violent bras de fer entre Harlem Désir ("Touche pas à mon pote") et Jean-Marie Le Pen, avec, en prime, une crise économique en toile de fond.
La société n'aime pas le non-alignement. Les expressions "c'est un moindre mal", "avoir le cul entre deux chaises" et le concept de médiocrité dénotent bien la désaffection qui est nourrie vis-à-vis de ce qui n'occupe pas une position franche. Dans l'inconscient collectif, il faut prendre position, choisir son camp. Quelle ironie maintenant que l'on assiste à l'essor de l'Empire du Milieu!
En tout cas, il se posait à moi un problème fondamental: comment pouvais-je, moi, métis, trouver une voie (voix?) dans un contexte radical, c'est-à-dire marqué par la racine?
Je parle d'une époque durant laquelle les Noirs demeuraient tapis dans l'ombre, à l'abri du regard des média et de la société; une invisibilité dont ils étaient à peine conscients en ce sens qu'ils étaient invisibles à tout regard, le leur y compris.
L'arrivée du Hip-hop, phénomène interculturel, avait déjà ébranlé cet état de fait mais le film de Spike Lee, 'Do the Right Thing', déclencha en 1989 un véritable sursaut communautaire, une prise de conscience nourrie d'une fascination sans borne pour la culture africaine américaine.
Plus qu'un référent, cette dernière devint pour la jeunesse noire d'alors un objet d'identification.
NBA, NFL, Mc Do, Hip-Hop, Public Enemy, Malcolm X et le Cosby Show furent autant de révélateurs de fierté et de visibilité. Se nier pour se sentir exister, investir un ailleurs pour exister: voilà une stratégie avec laquelle j'étais familier depuis longtemps. Loin de la théorie manichéenne qui prévalait en France (celle du tout Noir ou du tout Blanc), les Africains Américains se livraient à l'"Eloge de la Créolité" cher à Chamoiseau, Confiant et Bernabé.
Je fus, moi aussi, pris dans ce tourbillon culturel et linguistique, un tourbillon qui venait renforcer mon amour pour l'anglais. Hasard ou coincidence? Illusion du hasard et de la coincidence?
Ni l'un, ni l'autre! Je pense que je me suis réfugié dans l'anglais comme on se love dans un intervalle, un interstice qui est finalement devenu une troisième voie, ma deuxième voix!
Trendance
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1 commentaire:
c'est super de pouvoir entrer dans ton univers de sentiments...J'adore pouvoir apercevoir d'autres facettes de toi. Ce que tu as fait de tes souffrances et de tes questionnements est d'une richesse incoyable, d'ailleurs, tu es tout entier fait de ça...Voilà une belle histoire que tu nous offres à moi, aux autres...Elle nous laisse presque sur notre faim, on a envie d'explorer encore, plus loin! Continue ce cadeau intime, il me nourrit moi aussi...Mais ne t'étonne pas si des boulets s'accrochent à tes chevilles si solides!!!
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