mercredi 2 janvier 2008

"Du danger de la Crispation" par Trendance

Dans le lexique français, un de mes mots préférés est "crispation", tant pour ses sonorités que pour ce qu'il implique.

Ce mot m'est revenu avec plaisir et violence quelques jours après Noël alors que je me délectais à ne rien faire.

Samedi dernier, je me suis retrouvé devant l'émission "Reportages" de TF1. Il s'agissait d'une énième rediffusion traitant cette fois-ci de rencontres fortuites dans les transports en commun. Ces belles histoires avortées dans l'oeuf par manque de courage ou d'à propos.
Cette conclusion s'imposa rapidement: le romantisme n'est que rarement de mise non pas par manque d'affinités mais en raison d'une timidité paralysante. Le plus souvent, la crispation l'emporte sur le désir.
Mais le grand enseignement de ce programme réside dans le fait que de cette crispation naît le fantasme. La passivité rend possible la frustration qui engendre elle-même le fantasme. Ceci serait relativement séduisant si ces personnes tiraillées entre le souvenir ému d'un regard ou d'une silhouette et la prise de conscience de son manque d'initiative ne se retrouvaient pas dans un enfermement au sein duquel se mêlent regrets et remords. Il faut être fort pour se confronter à l'Autre, même ou surtout dans une entreprise de séduction. Mais c'est précisément à cette condition que l'on se fortifie soi-même.

La Chine, si conquérante de nos jours, puise en partie sa motivation dans l'occasion râtée qu'ont représenté les sept expéditions de Zheng He sous la dynastie Ming. En effet, cet explorateur chinois du 15ème siècle, parvenu jusqu'en Afrique, voire en Amérique, n'a jamais été mû par des visées expansionnistes et bellicistes. L'échange culturel et commercial suffit à étancher la soif de prestige de l'Empire du Milieu. De par son mode d'interaction superficiel car à court terme, Zheng He a donc laissé la place aux Christophe Colomb, Cortes, Magellan, Cartier, Bougainville, Cook et autres Livingstone dans le grand livre de l'exploration mondiale. C'est cette occasion ratée, cette crispation favorable au repli sur soi et à l'enfermement que les Chinois combattent aujourd'hui: les Jeux de Pékin 2008, leur diaspora, leur dynamisme commercial.

Hier soir, le journal de 20 heures de France 2 mettait en avant la bombe à retardement que représentait le poids croissant des retraites. Les quinquagénaires sont, avec les jeunes, les grands exclus du marché du travail, au moment même où le concept même de vieillesse doit être repensé: les retraités deviennent une cible marketing de la société de consommation et de loisirs tant leur bonne santé et leur dynamisme sont tangibles. Le reportage rapellait que les préretraités sont un luxe aberrant que l'on ne pourra plus s'offrir sous peu. Malgré tout, notre société vieillissante cultive à la fois le jeunisme et la peur de l'Autre générant des "sans-papiers", ces forces-vives dont on ne pourra bientôt plus faire l'économie. Car l'un des enjeux de la concurence qui nous oppose aux pays émergents portera très bientôt sur le capital humain et sur la capacité à mobiliser la plus large population active possible à des fins de production de ressources.

A la manière des amoureux des transports publics ou de la Chine moderne, la France se trouvera dans l'obligation de produire des efforts surhumains afin de se départir de cette crispation qui prend parfois la forme d'une xénophobie, d'une peur de l'Autre: la peur des jeunes, la peur des vieux, la peur des banlieues, la peur du surendettement, la peur de l'expulsion, la peur de la stigmatisation, la peur de la peur...

Cette phobie, je l'ai vécue avec violence aux Etats-Unis lors de mes voyages dans les années quatre-ving dix. Au-delà des clichés qui gravitent autour de ce pays (les gratte-ciels, les fast-food bon marché, les Noirs aussi branchés que solidaires, les limousines...), ce fut peut-être le trait le plus marquant. J'y ai vu des systèmes d'alarme perfectionnés dans les maisons privatives, des casques portés par des cyclistes, des agents de sécurité employés sur les campus, des avertisseurs sonores qui retentissent lorque l'on ne boucle pas sa ceinture de sécurité: ces signes banals de la peur quotidienne de l'Autre! L'Amérique est encore à l'avant-garde et demeure ce miroir dans lequel on devine ce que la France sera dans quelque temps.

D'où ma résolution d'écrire ce blog, de prendre la parole par le clavier, de m'affranchir d'un état de crispation. On parle souvent du devoir de mémoire, du principe de précaution; je veux ici invoquer l'impératif de pensée. Ce blog est pour moi un acte militant, un acte d'échange contre l'enfermement et pour la Créolité chère à Edouard Glissant, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant.

Dans mon esprit, la crispation est plus qu'un état de tension, de contraction puisque "Crisp", c'est aussi en anglais, l'onomatopée d'un craquement, d'une brisure. Et si ce "crisp" que j'ai décelé chez ces jeunes voyageurs épris de rencontres et d'amour sur TF1 n'était que l'écho de celui d'une société menacée par l'inertie et la peur?
Mais n'est-il pas convenu de dire qu'à tout problème correspond sa solution?
Cette (ré)solution participe de l'évidence même: le plan de lutte contre la crispation est intimement lié à la respiration car point de décontraction sans inhalation. Toutefois, à l'horizon de cette décrispation pointe un nouvel obstacle: et si respirer ne se résumait finalement qu' à faire sien l'Autre, cet Extérieur menaçant, qui à l'image de la fumée de cigarette, cristallise les peurs et renforce le désir d'isolement! Aux victimes du fléau de la crispation je veux donc "prescrire" cette phrase que tout général romain triomphant s'entendait dire par un esclave: "memento mori", i. e., "souviens-toi que tu vas mourir!"

Trendance

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