lundi 1 août 2011

L'AVENEMENT DE LA PRESBYTIE ou l'avortement de la Prospective

Somme toute, de quoi souffre notre monde, si ce n'est d'une myopie auto-infligée, voire cultivée?
Cette question que j'admets être provocante ne cesse de me tarauder depuis quelques années. En effet, il est difficile de croire que les événements ne sont plus guère prévisibles de nos jours. Quoique louable, la brutale prise de conscience des problèmes de pollution écologique et de pénurie de ressources naturelles
révèle avant tout notre incapacité à anticiper ce qui est irrémédiablement annoncé.
Mais il y a bien pire. Nous semblons frappés d'une presbytie qui, à mon sens, constitue un mal bien plus problématique.
Il y a peu, alors que nous entrions manifestement dans un cyle de crises économiques internationales, certains grands dirigeants européens se targuaient d'avoir su limiter l'impact de la crise dite des subprimes. Cet élan d'auto-congratulation avait été reçu comme la confirmation que l'on était en mesure de présider à nos destinées nationales dans un monde à l'économie globalisée. Notez dans cette dernière phrase la présence éblouissante d'un oxymore aux perspectives sombres...
Mais dans le même temps se dessinait déjà une crise aux conséquences bien plus dévastatrices, celle de la dette publique.
Lors de l'élection présidentielle française de 2007, on réussit le tour de force de ne pas apporter de réponses concrètes au problème de la dette publique. Il y eut tout au plus des déclarations de principe visant à juger inacceptable l'état de cette même dette. L'emprunt (à tout prix?) n'est-il pas après tout un mal nécessaire dans notre système capitaliste?
Peut-être suis-je de mauvaise foi car l'on peut considérer que la réduction du contingent de la fonction publique représente en soi une solution au problème de financement du fonctionnement de l'Etat et donc de la dette publique. Quoique nécessaire, il me semble que cette mesure a été motivée plus par des considérations idéologiques qu'économiques. J'en veux pour preuve que, simultanément, de nombreuses options fiscales et économiques ont eu pour conséquence de creuser le déficit national.
Mais alors, est-ce là tout? Peut-on pour si peu parler de presbytie et de déni de prospective?
   Je me risquerais à répondre par l'affirmative sachant que la grande majorité de ces mesures ont été annulées alors qu'il avait été évident que notre pays n'avait déjà plus les moyens d'une telle politique.
   J'acquiescerais ouvertement au regard du problème européen de la dette dont la Grèce n'est que le premier patient. Comment n'a t-on pas pu voir que la Grèce, réputée pour la faiblesse de ses recettes fiscales, dépensait avec une générosité inconsidérée?
   Je crierais mon assentiment au vu de la situation critique du plus grand débiteur mondial, les Etats-Unis, dont le déficit s'est soudainement trouvé au centre de toutes les préoccupations cette semaine faute d'accord sur le relèvement du plafond de la dette publique américaine.
Loin de me laisser songeur, cette presbytie à géométrie nationale, continentale et internationale m'interpelle.
Et si ce manque d'anticipation annonçait le recours à une stratégie d'assainissement accéléré des finances publiques et ambitionnait de pratiquer un allégement brutal des personnels de l'Etat?
Si certains voient peut-être dans cette série de crises l'occasion rêvée de mettre fin à un jacobinisme suranné, je suis bien plus inquiet car dans une société rongée par l'individualisme et la libre-entreprise, le fonctionnariat
demeure l'un des derniers remparts de la République dans son acception étymologique, c'est-à-dire de la "chose publique". Notre système ultra-libéral fondé sur la spéculation et la centralisation des ressources entraîne l'effritement du sentiment de communauté nationale et accentue les disparités socio-économiques. D'ailleurs, si la privatisation a pour but avoué d'annuler les situations de monopole, elle a aussi pour effet pervers d'impliquer une hausse des prix pour les consommateurs, et ce en raison d'une entente entre les différents fournisseurs de produits et de services. Ainsi, que partagerons-nous lorsque cette chose publique aura disparu? Quels seront alors la réalité et le champ d'action de notre capital solidarité?
Dans certains pays économiquement émergents dont le taux de croissance à deux chiffres nous fait rêver, la notion de "chose commune" y est mise à mal, voire y est une valeur inconnue. Même (et surtout) dans le cas de ces pays à l'Etat centralisé fort, on peut observer que l'Individu y est une entité bafouée et parfois même réprimée. C'est une "entité négligeable" qui est bien souvent sacrifiée au profit de certains individus. Qu'il s'agisse des oligarques russes, des hommes d'affaires chinois, des entrepreneurs indiens ou des grands exploitants agricoles brésiliens, ils sont tous les grands bénéficiaires d'un système fondé sur le déni de l'Individu dont les seuls droits résident dans celui de travailler et de se résoudre à une consommation de subsistance, voire de survie. Et bientôt se profilent déjà à l'horizon des fortunes personnelles dont le poids éclipsera les richesses accumulées par l'Etat.
Aussi adresser au plus vite ce problème de dette publique est-il le meilleur moyen de défendre notre République, notre démocratie et de s'assurer que l'enrichissement extravagant de certains individus ne soit pas subordonné à l'assujettissement et à la disparition de l'Individu issu des Lumières et dont Michel Foucault avait pourtant déjà annoncé la Fin.