vendredi 4 janvier 2008

"Boulet"?, vous avez dit "boulet"? (message répondant au principe de précaution)" par Trendance

Ah, qu'en est-il de la liberté si chère à Eluard, Hugo et Zola?...

Je suis bien souvent confronté à des problèmes de mémoire mais je me souviens avec précision de mon année de terminale et, en particulier, de ce cours de philosophie consacré à la liberté. Après avoir "su(i)bi" un cours unilatéral d'expression théorique, je me suis dit, qu'au delà de la contradiction patente qui consiste à traiter d'un tel sujet dans un lieu de coercition tel que l'école, il me fallait absolument dresser la liste des agents et des adversaires de la liberté afin d'approprier l'essence de cette dernère. A la fin de cet exercice opéré pendant le cours de mathématiques, je ne fus pas peu fier du résultat. L'adolescent que j'étais, illuminé par l'étude du Siècle des Lumières et affecté par l'analyse historico-politique du vingtième siècle, avait compilé des termes aussi abstraits qu'abscons finissant en -isme et en -ion. Ce résultat ressemblait plutôt à une liste de courses qui compile des passages obligés dénués de liens.

Avec le recul, elle reflétait principalement deux choses souvent intimement liées: mon idéalisme et mon inexpérience. Car si je devais aujourd'hui définir l'obstacle principal à toute forme de liberté, je ne parlerais plus de "barbarisme" ou de "discrimination" mais de "boulet".

Oui, vous avez bien lu, "boulet"! Quand je parle de "boulet", je demeure, comme à mon habitude, dans l'abstraction: je ne réfère pas à l'inséparable compagnon du canonnier ou du bagnard mais au concept de Boulet, cet "ami" qui n'est votre ami que parce qu'il met tout en oeuvre pour que vous n'oubliez pas de le considérer comme tel!

Pour moi, c'est ce Boulet qui est numéro 1, qui trône en tête de tout classement, qui surclasse de loin toute forme d'opposition à la liberté. Oui, je l'avoue, je suis "bouletophile": je souffre d'être un aimant à boulets. Le terme d' "aimant" est d'ailleurs lui aussi très intéressant. Peut-être ne voyez-vous pas du tout de quoi je parle. Eh bien, pour ces 'happy few', je me propose de fournir ici les traits essentiels du boulet après en avoir esquissé une définition sommaire.

Le Boulet - notez la majuscule que nous expliciterons plus tard - est cet être bien réel comparable au cours de philosophie dont je viens de parler: une intervention unilatérale revêtant un caractère contraignant. C'est plus clair maintenant? Je devine votre émotion décelable à ce tressautement de cil ou à cette soudaine déglutition. Vous aussi faites partie des innombrables victimes du Boulet, le pourfendeur de toute forme de liberté individuelle, l'avatar même de l'égoïsme, un trou noir monstrueux dont l'appétit sidéral et sidérant se propose d'engloutir l'Autre.

Oui, à l'heure où notre société voit se concrétiser les pires hantises d'Orwell, Huxley et Philip K. Dick réunis, le Boulet s'impose à lui seul comme la menace ultime qui, aussi sournoise qu'inéluctable, plane au-dessus de nos têtes.

Voilà donc pourquoi la majuscule! Car le premier enseignement à tirer consiste à ne surtout pas sous-estimer le Boulet. Un enseignement duquel découle implicitement le second trait du Boulet: sa grande capacité à se camoufler dans l'attente de sa proie.

Sous ses apparences avenantes, sous cet air de ne pas y toucher, le Boulet met en oeuvre un large éventail de faux-semblants tout en vous attendant, tapi dans une banale normalité. Mais voici se profiler le troisième trait du Boulet: ce faisant, il échafaude et poursuit un formidable plan d'attaque, une stratégie infaillible qui fait la force de tout prédateur.
Cette stratégie se résume comme suit: utiliser la faiblesse de l'adversaire pour accroître sa propre force. Son approche est bien souvent soudaine et de là, tout est bon pour annihiler toute forme de résistance: on joue la carte de l'amitié sans borne, on flatte l'orgueil, on suscite la pitié, on recourt à la culpabilisation voire le chantage pour mieux envahir l'espace vital de la proie et se repaître des attributs tant convoités. Aussi le Boulet est-il un anthropophage symbolique, une mante religieuse aux traits humains convoitant le capital vital d'un être exogène.
Pour atteindre ce but - celui de devenir vous à tout prix - il affiche progressivement des prétensions d'exclusivité qu'il masque parfois maladroitement lorqu'il va être confondu. Au fond, il rêve d'être votre meilleur ami mais se fait l'ami que vous aimez détester ou du moins, celui que vous préféreriez garder à distance. Ne désirant pas être perçu comme un agent d'harcèlement, il se fait l'instigateur du célèbre jeu "je t'ai(me), moi non plus", alternant comme mode realtionnel le chaud et le froid, comme pour garder une mise à distance illusoire.
C'est précisément en cela que le Boulet est dangereux, toxique. Il a la capacité d'altérer l'Autre. Pour ce faire, il déclenche chez lui ce qu'il ya de mieux (au début) pour mieux révéler ce qu'il y a de pire en vous. C'est l'effet papillon dont le battement déclenche un cyclone dont vous devenez le cyclope. Mon oeil? Eh bien, qu'est-ce qui fait le danger du Boulet: son chaos déterministe (rien n'est dû au hasard, et ce, magré les apparences) et sa capacité à vous aveugler, vous séduire, vous détruire.
Parfois, lors d'une crise finale, pris dans son enfermement schizophrénique, il manifestera sa supériorité, son aspiration à l'émancipation tout en vous reprochant d'être vous, clamant ainsi la légitimité qu'il a de vouloir vous déposséder de votre identité! Le Boulet devient alors un artificier dont le cadeau démesuré, transmis avec émotion, vous explose au visage. Il se fait ouvertement le terroriste kamikaze, le guerillero à pas feutrés qui foule aux pieds le principe essentiel au coeur des relations humaines: la réciprocité.

Un jour, dans un avenir peut-être proche, anthropologues, sociologues et autres philosophes s'accorderont-ils pour dire que "L'enfer c'est le Boulet!" ou que "Tout Boulet est fasciste car il force à dire comme à faire". Il me semble déjà déceler dans cette boule d'égoïsme et d'orgueil désespéré l'archétype de l'homme postmoderne, tiraillé entre son incapacité viscérale à s'aimer et son aspiration à être (l')autre.

Trendance

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