vendredi 10 octobre 2008

"L'Ere du grand Divorce sociétal" par Trendance

Nous voici au "coeur" d'une crise financière d'un genre nouveau, dans l'oeil d'un cyclone économique dévastateur; et avalés tels quels par la baleine de Collodi, nous nous surprenons à chercher à allumer un feu salvateur... Mais heureusement, c'est coupés du monde que nous est offerte l'opportunité de comprendre que c'est notre égocentrisme et le manque de considération pour autrui qui nous ont conduit tout droit à cet isolement. La phobie, quoiqu'essentiellement irationnelle, peut devenir le point de départ d'une réflexion dont les conclusions s'avèreront cruciales quant aux mesures à prendre.
Il est souvent dit que le plus dur ne consiste pas à devenir champion mais à le demeurer. Confronté à une crise majeure, le capitalisme, frappé du syndrome Achillien, témoigne aujourd'hui de la pertinence de cet adage; beaucoup ont vu dans la Chute du Mur de Berlin de Novembre 1989 la victoire incontestable et alors incontestée d'un capitalisme désormais triomphant. Mais notre système, aveuglé par les phares du cynisme et d'une invulnérabilité faussée, a perdu de vue que déjà un défi de taille se profilait à l'horizon, celui de la transmutation. Sorti du long contexte historique de la Guerre Froide, la superstructure capitaliste a éludé le grand principe darwinien reposant sur la nécessité de s'adapter à un nouvel environnement. Au lieu de profiter de la trêve en investissant dans l'humain les anciennes ressources militaires, le monde occidental de type capitaliste a cru assurer sa propre pérennité en privilégiant la consolidation de sa propre superstructure. L'inertie, ce mythe pourtant éprouvé, a été brandi et tout fut mis en oeuvre pour que le pouvoir demeure entre les mains de ceux qui le gardaient jalousement. La contre-révolution n'avait qu'à bien se tenir...
Et lorsque le changement nous était proposé, le prétexte était tout trouvé: l'Union Européenne se devait de constituer le dernier rempart face aux assauts répétés de l'Amérique, de l'Asie et de l'Afrique. Vagues immigratoires et autres stratégies économiques agressives se devaient d'être contenues à l'heure où la vieille Europe avait besoin d'un influx de jeunes travailleurs et où la libre-concurrence internationale était pronée. Contradiction, quand tu nous tiens!.. L'Euro avait alors pour objectif de nous protéger de tout aléa, d'assurer la stabilité monétaire et financière de notre zone-forteresse. Stabilité, inertie, préservation...
Mais dans le même temps, un autre son de cloches pouvait être perçu: des pays et continents environnants, le son discordant de la globalisation semblait devoir venir altérer nos infrastructures. Ce qui avait été produit ici et consommé là-bas était brutalement produit là-bas et consommé ici. Mais comment lutter contre cette hydre, contre ses dragons venus d'ailleurs? Après moultes réflexions, la superstructure capitaliste n'a eu d'autre choix que de s'allier à cette menace, de l'admettre en son sein, consciente qu'elle était de ne pouvoir la terrasser. Et tous les décideurs politiques et économiques de se bousculer afin de prendre le train en marche, frappés qu'ils étaient par un strabysme déconcertant: l'oeil droit faussement rougi par la désindustrialisation de nos régions et la dépression de nos cols bleus, l'oeil gauche avidement pointé vers les terres lointaines de la délocalisation et de l'externalisation: fuite des capitaux, évasion fiscale, transfert des procédures et des compétences, vente des moyens de productions... Sous prétexte de se renforcer, le capitalisme nous a tous affaiblis. Convaincu de conforter sa primauté, cette superstructure a entamé une procédure de divorce avec ceux mêmes qui forment ses administrés, c'est-à-dire Nous.
C'est ainsi que nous devons faire face à une crise rare: crise de confiance subie par les places boursières du monde entier, crise de méfiance au sein du secteur bancaire mondial. Non, le système capitaliste n'est pas confronté à une récession mais à une véritable crise des valeurs. Car la vigilance et la clairvoyance ne doivent pas faire en sorte que nous nous satisfassions d'un terme qui vise parfois à masquer les responsabilités. Certes cyclique, la crise s'explique et procède de causes définissables. Hormis les explications techniques imputables à un Capitalisme triomphant, il en est une - philosophique - que l'on peut se risquer à évoquer: le Divorce.
Cette crise n'est autre que la résultante d'une tendance sociétale en ce sens qu'elle est décelable à chaque niveau, dans chaque aspect de ce qui fait notre quotidien. L'employeur privilégie la rentabilité au détriment du bien-être de ses employés, l'Etat sacrifie la priorité de service à des fins d'économie, l'(in)satisfaction des désirs prend le pas sur la quête du bonheur, l'égocentrisme est implicitement institutionnalisé aux dépens de la solidarité et le surendettement devient une manne pour les prêteurs faussement généreux. Mais le grand Divorce, monstre protéiforme ne s'arrête pas là: il érige dans son sillage des murs infranchissables: l'élève se détourne de son professeur, l'enfant façonne ses parents en anti-modèles, l'admistrateur fait fi de ses administrés... En d'autres termes, c'est une crise de confiance généralisée qui nous menace dans ce que nous sommes, au plus profond de notre communauté mais aussi de notre être. Car s'il est une chose que le Capitalisme triomphant a perdu de vue, c'est que la qualité d'un contrat ne vaut que par la satisfaction pleine et entière des intérêts des deux parties. La falsification des bilans d'Enron, le scandale des 'subprimes', la spéculation incessante portant sur le prix des ressources pétrolières et alimentaires, les diverses stratégies d'évitement du système bancaire et du monde de l'assurance sont autant d'exemples de violation du contrat sociétal.
Et pourtant, ne nous a t-on pas répété que nous vivons à l'heure du "tout globalisé"? Comment ce système capitaliste qui a cautionné la globalisation à ses propres fins de survie a t-il pu oublier qu'il n'est pas de salut sans altruisme, c'est-à-dire la prise en compte de l'Autre? Est-il possible que l'interdépendance lui ait semblé ne plus constituer un trait fondateur de notre monde? Est-il envisageable que, enfoncé dans une avidité démesurée, le Capitalisme ne se soit pas rendu compte qu'il broyait et digérait ses propres enfants, tel un Saturne croyant ainsi assurer sa propre survie? Ce divorce trouve également un écho dans la rupture écologique qui oppose l'Homme à son environnement. A nouveau, perdre de vue l'interdépendance, la relation à l'Autre, c'est se aborder soi-même, fuir éperdument tout en coupant les ponts d'un retour possible au bien-être. Plus, toujours plus! Plus vite, plus haut, plus fort! C'est la dure loi des records, ces vieux bilans à effacer des tablettes de l'Histoire et de la mémoire collective. C'est ainsi que le sportif déçoit parfois ses plus fervents admirateurs et que le commercial ne fait plus de son client le principal bénéficiaire du service qu'il offre.
Et pourtant, ce sens de l'interdépendance n'est pas du domaine du mythe. Chaque "petit pas pour l'homme (...) est un grand pas pour l'humanité." Comme l'avait affirmé Neil Armstrong, chaque homme recèle d'une parcelle non seulement d'humanité mais également de l'humanité.
Le pire réside peut-être dans le fait que le système en est conscient, voire convaincu car, à l'instar d'une publicité conçue par un opérateur téléphonique, il n'hésite pas à clamer (toujours plus) haut et (toujours plus) fort dans des messages aussi démagogiques que cyniques que "je suis tous les gens que je connais et tous ceux que je ne connais pas encore. Je ne suis rien sans eux et avec eux je peux tout faire". Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le slogan de cette entreprise est "plus loin ensemble", la parfaite illustration d'une surenchère de la performance teintée de démagogie nauséabonde. Comble de l'ironie, bien avant l'ère digitale, les hommes vivaient déjà en réseau, au sein d'un enchevêtrement communautaire et d'un tissu social qui les préservaient du grand Divorce sociétal. Car si pour Sartre, "l'enfer, c'est les autres", nos aïeux avaient bien compris que, quelque part, le salut résidait dans les autres!

Trendance

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