Résidant en proche banlieue parisienne, je passe en moyenne dix heures par semaine dans les transports en commun, qu'il s'agisse du métro, du RER ou du bus. Comme bon nombre de personnes, je profite de ces moments pour me retrouver, alors même que je me trouve balloté dans une foule d'inconnus. Lorsque je ne lis pas de romans classiques, il m'arrive de ressentir le besoin de penser. Dans l'environnement froid des non-lieux du transport public, j'aime à structurer mentalement mon existence ou à me projeter dans un avenir dont les fondations sont à ériger. Mais parfois, comme bon nombres de "voyageurs" - peut-on parler de voyage lorsque la contingence et l'errance en sont exclues? - je me laisse aller à observer mes semblables et cette activité en dit long sur l'essence de notre société.
Etat de somnolence motivé par un manque de sommeil, rêverie salvatrice qui vous extirpe temporairement d'un quotidien déshumanisant, écoute d'un appareil MP3 qui vous confère à la fois isolement relatif et sensation d'être chez soi, lecture d'un livre ou d'un journal gratuit, conversation téléphonique dont la vacuité indique que le message est moins important que la nécessité de gaspiller le temps: ce sont là les grandes tendances comportementielles.
Néanmoins, il en est une que je n'ai pas mentionnée et qui pourtant me fascine autant qu'elle se propage dans les espaces publics: la "lecture" des magazines "people".
En ce début du troisième millénaire, notre société se distingue entre autre par la fascination exercée par les célébrités. Emissions télés, sites internet et presse mondaine se spécialisent avec un enthousiasme frénétique pour cette frange "dorée" de la population, au point que ce terme anglais trouve dans la transcription "pipôle" un pendant branché. Mais comment ne pas voir en "people" un des termes les plus ironiques qui soient? En effet, si les objets de ce nouveau culte sont des "people", c'est à dire des "gens", il est légitime de se demander ce que nous, les anonymes, qui composons "la France d'en bas", sommes.
Les choses ont véritablement changé depuis les années quatre-vingt. Après une longue période de doute engendrée par le choc pétrolier de 1973, la neuvième décennie du vingtième siècle s'est lentement imposée comme l'ère de l'individualisme pleinement assumé, voire revendiqué. Les années deux mille ne sont qu'à cet égard le prolongement des années quatre-vingt. Toutefois, une chose a changé: l'insouciance de l'embellie écononomique a laissé la place au marasme de la précarité et de la perte du pouvoir d'achat. Nous sommes donc devenus des consommateurs fantômes, frustrés car bridés par la retenue vitale occasionnée par un porte-feuille "idéal", ou devrais-je dire, un "porte-deuil". Nous sommes prisonniers de nos désirs inassouvis, reclus dans un quotidien que beaucoup ressentent comme sinistre et sans perspective. Mais, des années quatre-vingt, une chose semble perdurer même si elle a muté: cette culture de l'ego. Mais comment faire l'apologie de soi lorsque l'on ne trouve plus de raison d'être fier de ce que l'on est?
Deux solutions s'offrent alors: sombrer dans un culte de la personnalité aussi futile que ridicule ou fuir ce que l'on 'est pour se réfugier dans l'Autre, dans le "people. C'est donc ainsi que dans une société de plus en plus individualiste on ne s'intéresse principalement qu'à l'Autre. En se lovant dans les pages de papier glacé d'une presse agréable mais illusoire, nous, les vraies
personnes, menons une vie fantasmée au cours de laquelle s'entremêlent myopie et voyeurisme. En consultant les média spécialisés, nous nous régalons de biens de consommation et de scènes de vie aménagées, qui n'ont pour seul but d'attiser notre soif d'onirisme et notre tendance à l'onanisme mental. Reportage photo de candidats à l'élection présidentielle entourés de leur famille dans le jardin de leur résidence secondaire, double-page consacrée à des artistes qui, sous prétexte d'une actualité brûlante, se pavanent au lit, affublés d'un plateau petit-déjeuner sur lequel se trouvent des croissants parfaits, une fleur fraîchement coupée et un jus d'orange qui ne sera jamais bu... La famille Ricorée a encore frappé dans l'imaginaire de la presse à scandales. Mais de quels scandales parle t-on? De ces autres photos faussement scandaleuses car arrangées mais présentées comme l'oeuvre outrancière de paparazzi sans vergogne? De ces photos légèrement floutées sur lesquelles apparaissent des stars en bikini supposément parfaites mais dont on ne peut râter la cellulite? Comme le dit le dicton, qui aime bien, châtie bien. On se doit de présenter les people commes des gens normaux qui sont, tantôt élevés au rang de héros de par leur accession au succès, tantôt considérés comme des victimes sacrifiées sur l'autel de la célébrité. En somme, les people se doivent de ne pas nous laisser indifférent: leur réussite nous fascine mais leur cellulite nous rassure. Un bon héros doit posséder un soupçon d'anti-héros car la perfection l'exposerait à l'agacement, voire à la vindicte populaire. Paradoxalement donc, l'ego perdure même si l'on est engagé dans un processsus de déni de soi.
La création de la caste des people, à la manière de la loterie nationale, répond essentiellement à un seul objectif: répondre à la vacuité du quotidien des masses en assurant la promotion d'un ailleurs idéal. Car cette presse a bien compris que, même dénué de tout, l'espoir fait vivre et s'avère ainsi vital, particulièrement lorsque l'on met tout en oeuvre pour s'oublier...
Trendance
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