lundi 20 octobre 2008

"La "contre-addiction" américaine" par Trendance

Si les Etats-Unis n'ont pas le monopole de la contradiction, ils en ont fait depuis bien longtemps un de leurs traits essentiels. Cette tendance est si récurrente que l'on pourrait se risquer à parler d'addiction à l'incohérence. Après le déficit budgétaire abyssal de la première puissance mondiale (mais l'est-elle encore à ce jour) et le rôle d'agent de sécurité planétaire d'une nation rongée par la violence armée et le traffic de drogues, la nouvelle contradiction réside dans l'association de cinq lettres: Obama.
Dernier sursaut pragmatique d'un pays résolument idéologique, désir d'une revanche prise sur l'histoire raciale exprimée par l'une des deux Amériques ou contre-pied d'une nation éprise d'avant-garde, je ne saurais le dire. Ce qui est certain c'est que les Etats-Unis, qui ont aboli la traite et l'esclavage des noirs bien après l'Angleterre et la France, continuent de surprendre en étant l'un des premiers pays occidentaux à soutenir la candidature d'un citoyen issu de l'immigration. Contradiction, quand tu nous tiens!..

A la fois instrument ultime d'égalité et condition sine quan non à la renaissance, la mort - ici de l'Amérique telle que l'on a pu la connaître et de la race - a bien souvent été annoncée depuis l'investiture démocrate de Barack Obama et beaucoup y ont vu l'entrée des Etats-Unis dans l'Ere du Verseau racial et social. Mais qu'en est-il réellement? Cet événement, ayant à la fois valeur de rupture et de contradiction, redéfinit-il fondamentalement l'Amérique? Constitue t-il un "événement" dans le sens foucaldien, c'est-à-dire un fait historique singulier et contingent?

La mort est omniprésente dans notre quotidien, comme dans les champs de connaissance. Ainsi, à la fin du dix-neuvième siècle, Nietzsche invoquait déjà la mort de Dieu. A la même époque, Karl Marx annonçait la mort prochaine du capitalisme. Le siècle suivant, Michel Foucault proclamait la mort de l'Homme et les années soixante-dix célébraient la mort de l'Histoire. Les années quatre-vingt dix firent le deuil du Communisme. Au moment où l'on semble vouloir enterrer le libéralisme et ses effets pervers, l'Amérique entérine une nouvelle rupture avec Barack Obama, même si c'est l'Europe qui la voit plonger dans l'Age post-raciale.


Même s'il s'agit d'une indéniable avancée, nous sommes bien loin de la mort de l'Amérique racialisée. Aussi l'avènement de Barack Obama en tant que prétendant noir au fauteil de la Maison-Blanche doit-il être remis en perspective. Répondre à la question de l'essence noire devient donc une priorité.


Les Etats-Unis sont l'agrégation de nombreuses réalités sociales. Parmi elles, le Sud stipulait dans son arsenal législatif qu'un individu était considéré comme noir s'il possédait 1/32è de sang noir. Mais ceci va plus loin: de par la nature de l'histoire américaine, la négritude fonde une filiation à part entière qui plonge ses racines dans l'esclavage. Ainsi, la société américaine continue d'en porter en son sein les stigmates. Il n'est donc pas étonnant de relever qu'aujourd'hui encore les concepts et réalités de race et de rang social sont intimement liés dans un pays où le lumpenprolétariat et autres laissés pour compte sont à grande majorité noirs.

C'est dans cette perspective qu'Obama affiche une particularité contradictoire qui entame son statut de candidat noir américain. En effet, au-delà de son métissage, il est aussi noir qu'il n'est pas africain-américain. La spécificité d'Obama ne tient donc pas dans le fait qu'il représente un candidat noir mais plutôt qu'il ne soit pas un candidat africain-américain. En regardant Obama, l'Amérique blanche oublie tout du fardeau de la responsabilité que lui fait porter son passé esclavagiste. Au contraire, ce faisant, elle goûte avec délectation à la suave légèreté et à la fierté que confère le rêve américain. Par delà l'admiration béate pour une nation prête à se porter à sa tête un noir, l'enseignement que l'on peut tirer d'un tel événement réside dans le fait que l'Amérique se sente plus proche d'un partenaire aux origines pour certaines lointaines que d'un compatriote au passé marqué par l'abomination raciale.
Dans le même temps et ceci ne constitute aucunement la dernière contradiction inhérente au succès de Barack Obama, ce dernier incarne le rêve américain et l'américain en tant que tel, cet être multi-ethnique que Saint John de Crèvecoeur a défini comme "le nouvel homme". Ce concept ne trouve t-il pas un écho dans la maxime "e pluribus unum", un issu de plusieurs?

Mais comme toutes les nations, l'Amérique est en marche. Néanmoins, il semble que cette dernière évolue à contre-courant d'un monde qui semble préférer adopter les modèles d'un passé conquérant et/ou rassurant. Ainsi, la France tente de mettre en oeuvre la politique libérale anglo-saxonne des années quatre-vingt tandis que la Russie se tourne résolument vers des référents communistes d'avant 1989. L'Amérique, quant à elle, est toujours animée par une logique moderniste: elle se projette dans l'avenir, hautement consciente qu'elle est d'écrire l'Histoire. Elle se délecte de l'émisson de sa propre image réfléchie par le miroir de l'avant-garde. Toutefois, tandis que l'Amérique tente de se persuader de la possible concrétisation de ses propres mythes d'égalité, un événement démographique plus subtil se prépare à déferler sur la démocratie américaine. Selon les projections du Bureau du recensement américain, les minorités américaines deviendront majoritaires vers 2042. Cette donnée annonce t-elle la mort de l'Amérique? La seule garantie, c'est que ce n'est pas là la dernière contradiction américaine car cette nation, plus que n'importe quelle autre au monde, n'en finit plus de mourir pour mieux se redéfinir.

Trendance

1 commentaire:

Jigé a dit…

salut, et bravo pour ta résolution!
c'est tout à fait par hasard que j'ai abouti sur ton blog.

oui! La contradiction américaine! On se demande où est la logique là-dedans

mon blog est consacré à la connaissance de soi (http://connaissancedesoi.blogspot.com/). Si le coeur t'en dit, tu es le bienvenu.