mardi 22 décembre 2009

'L'Autre Image ou l'Image de l'Autre Soi' par Trendance

Il est des bouleversements technologiques dont l'impact sur notre quotidien est aussi fondamental qu'évident. L'invention de la roue et la maîtrise de l'électricité en constituent de parfaites illustrations. Toutefois, certaines évolutions technologiques tiennent lieu elles aussi de véritables révolutions, même si elles se révèlent être bien souvent plus diffuses, voire insidieuses.

Depuis peu, nous sommes confrontés à une révolution silencieuse et pourtant bien tangible: celle de l'image, et par conséquent, celle de notre relation à l'image.
L'image est un concept aux frontières floues et aux contours indéfinis. C'est dautant plus vrai que sa fonction mais aussi son esthétique n'ont de cesse d'évoluer. A l'heure de la technologie digitale, l'image se veut à la fois plus précise, plus complexe, plus immédiate et plus conviviale.
C'est précisément cette dernière caractéristique qui marque à la fois un stade nouveau dans l'évolution de l'image et une redéfinition de la relation que l'homme entretient avec cette dernière.

Je me souviens avoir vu dans des galeries d'art et autres expositions des installations dont le principe était fondé sur l'entrée et le cheminement du spectateur à l'intérieur de son espace. Parfois même s'instaurait-il avec l'oeuvre un "dialogue" fondé sur l'exploitation de l'image des visiteurs enregistrée à leur entrée. On s'éloignait ainsi de l'oeuvre d'art traditionnelle à laquelle on faisait sagement face et que l'on se contentait de parcourir des yeux.

A l'instar de cette nouvelle forme d'art, l'image connait une évolution cruciale. L'intéractivité naissante que l'on entretient avec elle bouleverse son essence tout en transformant la nature du lien qui nous unit à elle.

Né à la toute fin des années soixante, je me rappelle avoir connu les premiers jeux vidéos tels que Pacman. Il y a quelques mois, je me suis remis à jouer aux jeux électroniques. Quelle n'a pas été ma surprise au contact de la nouvelle console interactive. Moi qui avais connu les jeux de défilement au cours desquels on instaurait une identification avec un héros omniprésent, je me suis retrouvé propulsé dans une forme de divertissement fondée sur la subjectivité et l'interactivité: je ne voyais plus mon personnage et adoptais désormais un point de vue subjectif pendant un jeu qui, de plus, se déroulait d'après les choix que j'opérais.

Je réalisai alors que la notion de jeu vidéo ne renvoyait déjà plus au même signifié: la qualité de l'image, le réalisme du son, la mutiplicité des paramètres, cette qualité tout à la fois subjective et intéractive; tout participait à la confusion entre réalité et virtualité, à notre entrée dans l'espace virtuel. De joueur spectateur, j'étais devenu un aventurier protégé de tout danger.
Je n'en revenais pas; et pourtant, je réalisai déjà que nous en avions été avertis.
Cette entrée dans l'image et la virtualité, Steven Spielberg l'avait déjà traitée dans Minority Report, un film dans lequel on voyait Tom Cruise effectuer un ballet étrange au milieu de fichiers et d'images informatiques grâce auxquels il modifiait la réalité. L'ère du tactile était donc là, à portée de main. Et ceci se déroulait quelques années avant l'évènement des téléphones portables tactiles.

Nous ne sommes donc plus spectateurs de l'image mais nous entrons de plain-pied dans l'image afin de réaliser nos tâches de travail, de communication et de divertissement.

Comme avec Windows 7, nous entrons plus rapidement dans une image en ce sens qu'elle offre à son utilisateur une plus grande disponibilité. Tout ceci pour dire que nous vivons aujourd'hui une révolution de notre environnement virtuel. La naissance de cette nouvelle image instaure une autre réalité, une réalité parallèle qui deviendra vite aussi palpable que virtuelle. Total Recall mais surtout Matrix et Avatar nous avertissent des dangers de la virtualité en tant que vision fantasmée de la réalité mais laissent entrevoir l'émergence de l'ère de l'entertainement idéal.
Ceci est d'autant plus vrai avec l'arrivée de la technologie 3D au cinéma qui renforce le réalisme du virtuel en favorisant l'entrée du spectateur dans l'image virtuelle.

Grâce à ces avancées, nous avons l'occasion là d'évoluer dans un nouveau type d'environnement qui modifie profondément notre rapport à l'Autre car entrer dans l'image, c'est précisément créer un nouveau lien au monde "extérieur" et ainsi une intersubjectivité originale dont l'image constitue le vecteur.
D'ailleurs, qu'est-ce que Facebook sinon un outil numérique qui bouleverse et redéfinit le rapport à l'autre?
Il s'agit notamment d'un médium dont les mises en relation et les messages sont traités par la machine. Au-delà de la simultanéité déjà présente dans Messenger et les textos, ce sont des textes éphémères dont la brièveté correspond à l'immédiateté des images. Un de nos fantasmes réside dans le fait que le texte, interpellation présente et future trace-souvenir, tend à devenir une image dont l'appréhension se doit d'être la plus rapide possible et au centre de laquelle on se place. Ainsi, ces textes, comme les nouveaux jeux vidéos, ne sont que la projection de mon être
- à savoir de mes obsessions, de mes désirs, de mes frustrations - au sein d'un espace de distraction virtuel.

Pour les enseignants de langues dont je fais partie, ceci a des répercussions essentielles: si se poser la question de savoir si Brian est dans la cuisine est déjà plus que dépassée, voir Brian dans la cuisine sans être soi-même plongé dans la cuisine et sans être capable d'interagir avec Brian constitue une distance très marquée avec ce que nous propose la technologie et, par conséquent, avec ce que vit la jeunesse digitale.

Le constat est clair: nous ne sommes plus dans la Société du Spectacle de Guy Debord. La télé-réalité est déjà une distraction dépassée. Nous sommes dans la Société de l'Ego et du Fantasme: nous voulons nous trouver au centre de l'image, au centre de notre propre image virtuelle, un monde façonné au diapason de nos projections et à nos phobies.

De profonds changements émergent déjà au lointain.
Bientôt les applications informatiques nous proposeront d'opérer des choix qui feront de chaque support un objet modulable à merci, à géométrie variable. Ce choix délibéré de l'infiniment complexe répondra à une demande exponentielle de la personnalisation que nous connaissons déjà sous le nom de customisation. Signe de la liberté ultime, chacun pourra évoluer dans des réalités parallèles que nous configurerons selon nos souhaits. Nous accèderons ainsi à la fragmentation des expériences.

Au-delà de la mise à distance de l'Autre en tant que personne physique et vivante, ce sera l'émergence de l' Asociété de la réalité, à savoir la société de la Virtualité. Cette accessibilité illimitée à une virualité paramétrée ira de pair avec un rapport de plus en plus distancié à la réalité. Un peu comme un présentateur de météorologie télévisée qui se trouve virtuellement au milieu de la carte mais qui en réalité s'agite devant un écran vert ou bleu!!! La fragmentation pléthorique de nos expériences sera la concrétisation d'une société atomisée dont les points de connection s'articuleront autour d'images véhiculées par des machines digitales.

Certains évoqueront le risque de l'aliénation ou de la réification d'un Homme asujetti à la Machine comme un Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes ou un Alex dans Orange Mécanique. D'autres y verront la possible humanisation de la technologie comme dans 2001, l'Odyssée de l'Espace ou La Guerre des Etoiles.

En tout cas, cette révolution de l'image donnera à nouveau l'occasion d'une renaissance de l'Homme, pour le meilleur ou pour le pire!..

Trendance

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