mardi 22 janvier 2008

"L' Ailleurs, l'utopie réalisée de l' Entre-Deux!" par Trendance

On me demande souvent pourquoi je suis devenu professeur d'anglais car pour bon nombre de personnes "éducation" rime avec "vocation".

La vocation... Oui, cette force mystérieuse a bel et bien joué un rôle dans mon devenir car appel il y eut! Mais longtemps je me suis demandé si j'avais été appelé à devenir l'un de ces hussards de la République ou si je l'avais de façon inconsciente appelé moi-même de MES voeux.

Depuis peu, je détiens la réponse à cette question fondamentale, une réponse qui, à la manière d'une flamme vacillante, illumine les parois ténébreuses et peu fréquentées de mon moi le plus intime.

Pour comprendre mon statut actuel de professeur d'anglais, il faut remonter au tout début des années 80. Mon année de sixième occasionna chez moi un véritable traumatisme. Placé dans un internat très prisé duquel je ne sortais que le week-end, j'avoue avoir oublié la plupart des choses que j'y ai vécues, notamment les cours. L'année suivante, j'intégrai au mois de janvier le collège de quartier et je garde toujours présent à l'esprit ce que j'estime être mon premier cours

d'anglais: une enseignante avenante, une salle de classe chaleureuse et cette langue aux accents étranges qui, dès l'entame du cours, m'enveloppa telle un nuage protecteur. Je devais être au paradis!...

Mon père était exceptionnellement venu me chercher à l'école à l'issue de ce premier jour et tandis que nous nous dirigions vers la maison, il me demande comment cette journée s'était déroulée. Je la lui décrivis puis je lui fis part de mon engouement pour l'anglais. Néanmoins, je lui rapportai la conversation que j'eus avec mon enseignante qui avait désiré s'entretenir avec moi à la fin du cours et qui s'était étonné du fait que je parlais si bien anglais. Mon père nous narrait souvent l'histoire du Cameroun et de la division de son territoire entre la France et l'Angleterre
au terme de la défaite allemande en 1918. Désireux de me rapprocher de ce père distant et sévère, j'invoquai, pour justifier de mes aptitudes, le fait que mon père était originaire de la partie anglosaxonnedu Cameroun. Mon enseignante ne vit que du feu mais mon père ne comprit pas que je voulus lui attribuer ce "talent" et répondit de façon péremptoire: "Ce n'est pas çà; je viens de la partie francophone!" Ce fut là mon premier rendez-vous manqué avec mes origines et avec mon père mais je ne le compris plus tard, suite à la frustration générée par la longue série de mains tendues qui ne furent jamais saisies...

Oui, mes parents ne furent pas des gens faciles: à vivre, à comprendre, à aimer! Au point de comprendre rapidement qu'il me fallait me trouver un refuge, un ailleurs, un entre-deux au sein duquel je pourrais faire naître ce que j'étais appelé à devenir, ou ce que j'appelais à devenir.

Je vivais déjà dans un entre-deux: celui de ces deux parents qui ne me disaient absolument rien d'eux et dont le silence ne faisait qu'accroître mon vide culturel et identitaire. Ni totalement français et encore moins Camerounais, je me suis rapidement tourné vers Stevenson, Verne et autres Dumas. A cet égard, je me rappelle que lorsque nous finissions les courses à l'Intermarché du coin, j'harcelais ma mère pour qu'elle m'achète un livre. La culture étant une des valeurs que mes parents défendaient, ma mère accédait souvent à mes requêtes. Je devins ainsi en quelque sorte boulimique, engloutissant les oeuvres romanesques à une vitesse qui ne semblait pas même générer de plaisir. J'étais devenu un "tiers instruit" résilient.
Dans le même temps, fort de mes nouveaux "amis", je m'intéressai à Bob Marley, m'étant approprié une vieille cassette intitulée "Kaya" que j'écoutais en boucle. C'était aussi l'époque où je montais dans ma chambre en pleurant après avoir vu les corps décharnés d'Africains soufffrant de famine.

Puis vinrent les années d'adolescence, le milieu des années quatre-vingts, cette période de radicalisation où s'opérait un violent bras de fer entre Harlem Désir ("Touche pas à mon pote") et Jean-Marie Le Pen, avec, en prime, une crise économique en toile de fond.
La société n'aime pas le non-alignement. Les expressions "c'est un moindre mal", "avoir le cul entre deux chaises" et le concept de médiocrité dénotent bien la désaffection qui est nourrie vis-à-vis de ce qui n'occupe pas une position franche. Dans l'inconscient collectif, il faut prendre position, choisir son camp. Quelle ironie maintenant que l'on assiste à l'essor de l'Empire du Milieu!

En tout cas, il se posait à moi un problème fondamental: comment pouvais-je, moi, métis, trouver une voie (voix?) dans un contexte radical, c'est-à-dire marqué par la racine?
Je parle d'une époque durant laquelle les Noirs demeuraient tapis dans l'ombre, à l'abri du regard des média et de la société; une invisibilité dont ils étaient à peine conscients en ce sens qu'ils étaient invisibles à tout regard, le leur y compris.
L'arrivée du Hip-hop, phénomène interculturel, avait déjà ébranlé cet état de fait mais le film de Spike Lee, 'Do the Right Thing', déclencha en 1989 un véritable sursaut communautaire, une prise de conscience nourrie d'une fascination sans borne pour la culture africaine américaine.
Plus qu'un référent, cette dernière devint pour la jeunesse noire d'alors un objet d'identification.
NBA, NFL, Mc Do, Hip-Hop, Public Enemy, Malcolm X et le Cosby Show furent autant de révélateurs de fierté et de visibilité. Se nier pour se sentir exister, investir un ailleurs pour exister: voilà une stratégie avec laquelle j'étais familier depuis longtemps. Loin de la théorie manichéenne qui prévalait en France (celle du tout Noir ou du tout Blanc), les Africains Américains se livraient à l'"Eloge de la Créolité" cher à Chamoiseau, Confiant et Bernabé.

Je fus, moi aussi, pris dans ce tourbillon culturel et linguistique, un tourbillon qui venait renforcer mon amour pour l'anglais. Hasard ou coincidence? Illusion du hasard et de la coincidence?
Ni l'un, ni l'autre! Je pense que je me suis réfugié dans l'anglais comme on se love dans un intervalle, un interstice qui est finalement devenu une troisième voie, ma deuxième voix!

Trendance

dimanche 6 janvier 2008

"Quand le capitalisme percute Héraclite ou la crise des certitudes" par Trendance

Après la chute du Mur de Berlin, le capitalisme a vu dans cet événement l'aboutissement favorable d'un bras de fer interminable. Levé le Rideau de Fer, envolées les prétentions d'expansionnisme socialiste: le capitalisme n'avait jamais été aussi triomphant avant 1989!

Mais l'euphorie de la victoire passée, de nouvelles inquiétudes s'ammoncelèrent dans le ciel à peine dégagé de cette fin du vingtième siècle. Parmi elles, l'absence de l'ennemi juré engendra la nécessité de restructurations, un peu comme si la chute du Mur avait déclenché une réaction en chaîne digne de la théorie des dominos d'Eisenhower ou des pires cauchemars nucléaires.

Bien des années plus tard, l(a) (r)évolution fulgurante de l'ordre établi depuis la seconde guerre mondiale a cédé la place à une lente métamorphose du capitalisme. Car au-delà de l'internationalisation contagieuse des valeurs capitalistes s'opèrent des changements microscopiques révélateurs d'un présent constamment en devenir. En effet, à l'heure où l'on devine les premiers soubresauts récessionnels qui commencent à ébranler l'économie américaine - conjectures ô combien à risques dans une société hautement spéculative -, nos sociétés occidentales aussi diverses qu'interdépendantes témoignent de la redéfinition de la chose capitaliste. A mon sens, deux phénomènes traduisent ce glissement à peine perceptible: la chasse au superflu et la crise naissante des intermédiaires.

Engonssées dans la surconsommation, nos sociétés occidentales boulimiques rêvent d'abstinence et d'idéal ascétique. Aussi les surprend-on à vouloir se défaire de toute forme de surabondance: rejet catégorique de la surcharge pondérale, condamnation unanime des diverses formes de pollution, prise de conscience tardive des dangers du surendettement et de la surmédiatisation... Dans ce contexte de schizophrénie, Nous mourons d'être trop! Mais sous l'impulsion des premiers signes de crise économique, cette aspiration à plus de sobriété et de contrôle se commue progressivement en une véritable chasse aux sorcières menée contre le nouvel ennemi public numéro 1: le superflu. Voici une notion dont la portée sémantique semble s'adapter aux nécéssités du moment, tout particulièrement en France! Les partenaires d'alors sont devenus les "sans-papiers" pourchassés sans relâche; les "cols bleus" des Trente Glorieuses viennent grossir les rangs des "sans domicile fixe"... Notre société capitaliste prend soudain la forme d'un formidable champ d'exclusion et de précarité: mal-logés, travailleurs pauvres, allocataires du RMI, détenteurs de la CMU, stagiaires "longue durée", intérimaires, signataires de CDD éternellement renouvelés et bénéficiaires d'associations caritatives et autres clients de magasins hard-discount... Je l'entends ce cortège au pas lourd, victime de notre Realpolitik domestique, envoyé dans le désert de notre mauvaise conscience et de notre oubli à la manière des boucs émissaires bibliques.

Mais ensuite, qui succèdera à ce superflu(x)? Déjà, avec l'accord tacite d'un peuple frappé de phobie et placé dans une logique de survie, le capitalisme libéral est passé à une deuxième phase précédemment mise en oeuvre par la Grande-Bretagne des années quatre-vingt: le désengagement de l'Etat. La logique commerciale dictée par des priorités telles que le retour d'investissement et la rentabilité commence à pervertir des secteurs d'intérêt public déjà sinistrés tels que l'Education et la Santé qui n'ont comme seuls torts d'être aussi prodiques qu'improductifs. Et dans le même temps, il se forme un long cortège d'exonérations fiscales qui débarrassent les nécessiteux de leurs derniers oripeaux pour parer les plus nantis de somptueuses toilettes. Ronald Reagan avait déjà appliqué une formulaire similaire avec les résultats que l'on sait, parmi lesquels un déficit budgétaire record. Ah, darwinisme social quand tu nous tiens! La France, toute auréolée de sa "spécifité culturelle", n'aura pas résisté longtemps aux appels du libéralisme débridé(light). Nietzsche n'a t-il pas déclaré dans "Ainsi parlait Zarathoustra" que "l'Etat, [cette "nouvelle idole"] c'est le plus froid de tous les monstres froids"et qu'il "[l'Etat] a été inventé pour ceux qui sont superflus". On retrouve ici une conception machiavélique du groupe social et du genre humain empreinte d'un cynisme glaçant.

Mais cette menace aux effets aussi tangibles que pervers se trouve contrebalancée par un autre phénomène qui pourrait venir régénérer positivement le capitalisme, à savoir la crise naissante des intermédiaires.

En effet, il s'instaure pour diverses raisons une véritable méfiance à l'égard d'agents de liaison opérant dans les secteurs médiatiques et économiques. Internet en est probablement le meilleur exemple en ce sens qu'il tend à établir un lien direct entre producteurs et consommateurs.

Si l'émergence des supermarchés et autres hypermarchés survenue en France à la fin des années cinquante a réduit le nombre de petits commerces, l'essor d'internet risque de condamner toute autre forme de médiation économique. A terme, internet, cet outil qui redonne à la liberté ses lettres de noblesse, se transformera en entité à tendance monopolistique. Pour l'heure, certains maraîchers ont choisi de proposer leurs produits en ligne pour mieux contrecarrer la politique hégémonique des grandes surfaces dont les marges outrancières nuisent aux producteurs comme aux consommateurs. Sans maison de disques depuis plus de deux ans, le groupe anglais Radiohead a mis en ligne son septième album en Octobre dernier. "In Rainbows" a ainsi remporté un succès financier inattendu, malgré le fait que les internautes étaient libres de fixer le montant nécessaire à son acquisition. A la même époque, une information circulait selon laquelle Madonna allait se séparer de sa maison de disques -Waner - pour signer avec Live Nation, un grand organisateur de concerts. Même si la voie empruntée par Madonna ne l'a pas été selon les mêmes modalités que Radiohead - qui a choisi d'entrer en relation directe avec son public -, les grands intermédiaires de l'industrie du disque sont les grands perdants de ces deux opérations. La démocratisation d'internet affecte aussi des secteurs aussi variés que le voyage ou le bricolage. Par exemple, les forums de voyageurs éclipsent le rôle de conseil dont les agences de voyage ont longtemps été les seules dépositaires. En ce qui concerne le bricolage, la multiplication des fiches conseils et autres vidéos de démonstration viennent elles aussi empiéter sur les prérogatives des magasins d'outillage. En tant que médium "libre" et indépendant, internet brise bien souvent le silence instauré par les autres média ou par le pouvoir en place. Là encore, l'individu a la capacité de reprendre l'initiative même si celle-ci fait parfois l'objet de censure et de répression, comme en Chine ou l'on parle désormais de "cyber-dissidents". Avec internet, il se joue là une révolution populaire comparable à celle instaurée par Gutenberg dans le domaine de l'imprimerie.

Une chose est sûre: tous ces exemples dénotent à la fois l'échec d'un pouvoir démagogique enfermé dans une logique visant à assurer sa propre pérennité et la propagation d'un sursaut citoyen posé comme acte de résistance. Qu'il s'agisse de la vogue de la microfinance, du concept de commerce équitable ou de la réalisation de l'imminence de la problématique écologique, il s'opère un décentrement dont les maîtres mots sont indépendance et humanisation.

Qu'il s'agisse du rejet du superflu ou de la mise à distance des intermédiaires, le capitalisme est en pleine mutation. Mais quelle sera la portée de ce changement? Assiste t-on seulement à la lente décadence de ce système ou à sa régénérescence? Voilà l'enjeu!

Time will Tell!..

Trendance


vendredi 4 janvier 2008

"Boulet"?, vous avez dit "boulet"? (message répondant au principe de précaution)" par Trendance

Ah, qu'en est-il de la liberté si chère à Eluard, Hugo et Zola?...

Je suis bien souvent confronté à des problèmes de mémoire mais je me souviens avec précision de mon année de terminale et, en particulier, de ce cours de philosophie consacré à la liberté. Après avoir "su(i)bi" un cours unilatéral d'expression théorique, je me suis dit, qu'au delà de la contradiction patente qui consiste à traiter d'un tel sujet dans un lieu de coercition tel que l'école, il me fallait absolument dresser la liste des agents et des adversaires de la liberté afin d'approprier l'essence de cette dernère. A la fin de cet exercice opéré pendant le cours de mathématiques, je ne fus pas peu fier du résultat. L'adolescent que j'étais, illuminé par l'étude du Siècle des Lumières et affecté par l'analyse historico-politique du vingtième siècle, avait compilé des termes aussi abstraits qu'abscons finissant en -isme et en -ion. Ce résultat ressemblait plutôt à une liste de courses qui compile des passages obligés dénués de liens.

Avec le recul, elle reflétait principalement deux choses souvent intimement liées: mon idéalisme et mon inexpérience. Car si je devais aujourd'hui définir l'obstacle principal à toute forme de liberté, je ne parlerais plus de "barbarisme" ou de "discrimination" mais de "boulet".

Oui, vous avez bien lu, "boulet"! Quand je parle de "boulet", je demeure, comme à mon habitude, dans l'abstraction: je ne réfère pas à l'inséparable compagnon du canonnier ou du bagnard mais au concept de Boulet, cet "ami" qui n'est votre ami que parce qu'il met tout en oeuvre pour que vous n'oubliez pas de le considérer comme tel!

Pour moi, c'est ce Boulet qui est numéro 1, qui trône en tête de tout classement, qui surclasse de loin toute forme d'opposition à la liberté. Oui, je l'avoue, je suis "bouletophile": je souffre d'être un aimant à boulets. Le terme d' "aimant" est d'ailleurs lui aussi très intéressant. Peut-être ne voyez-vous pas du tout de quoi je parle. Eh bien, pour ces 'happy few', je me propose de fournir ici les traits essentiels du boulet après en avoir esquissé une définition sommaire.

Le Boulet - notez la majuscule que nous expliciterons plus tard - est cet être bien réel comparable au cours de philosophie dont je viens de parler: une intervention unilatérale revêtant un caractère contraignant. C'est plus clair maintenant? Je devine votre émotion décelable à ce tressautement de cil ou à cette soudaine déglutition. Vous aussi faites partie des innombrables victimes du Boulet, le pourfendeur de toute forme de liberté individuelle, l'avatar même de l'égoïsme, un trou noir monstrueux dont l'appétit sidéral et sidérant se propose d'engloutir l'Autre.

Oui, à l'heure où notre société voit se concrétiser les pires hantises d'Orwell, Huxley et Philip K. Dick réunis, le Boulet s'impose à lui seul comme la menace ultime qui, aussi sournoise qu'inéluctable, plane au-dessus de nos têtes.

Voilà donc pourquoi la majuscule! Car le premier enseignement à tirer consiste à ne surtout pas sous-estimer le Boulet. Un enseignement duquel découle implicitement le second trait du Boulet: sa grande capacité à se camoufler dans l'attente de sa proie.

Sous ses apparences avenantes, sous cet air de ne pas y toucher, le Boulet met en oeuvre un large éventail de faux-semblants tout en vous attendant, tapi dans une banale normalité. Mais voici se profiler le troisième trait du Boulet: ce faisant, il échafaude et poursuit un formidable plan d'attaque, une stratégie infaillible qui fait la force de tout prédateur.
Cette stratégie se résume comme suit: utiliser la faiblesse de l'adversaire pour accroître sa propre force. Son approche est bien souvent soudaine et de là, tout est bon pour annihiler toute forme de résistance: on joue la carte de l'amitié sans borne, on flatte l'orgueil, on suscite la pitié, on recourt à la culpabilisation voire le chantage pour mieux envahir l'espace vital de la proie et se repaître des attributs tant convoités. Aussi le Boulet est-il un anthropophage symbolique, une mante religieuse aux traits humains convoitant le capital vital d'un être exogène.
Pour atteindre ce but - celui de devenir vous à tout prix - il affiche progressivement des prétensions d'exclusivité qu'il masque parfois maladroitement lorqu'il va être confondu. Au fond, il rêve d'être votre meilleur ami mais se fait l'ami que vous aimez détester ou du moins, celui que vous préféreriez garder à distance. Ne désirant pas être perçu comme un agent d'harcèlement, il se fait l'instigateur du célèbre jeu "je t'ai(me), moi non plus", alternant comme mode realtionnel le chaud et le froid, comme pour garder une mise à distance illusoire.
C'est précisément en cela que le Boulet est dangereux, toxique. Il a la capacité d'altérer l'Autre. Pour ce faire, il déclenche chez lui ce qu'il ya de mieux (au début) pour mieux révéler ce qu'il y a de pire en vous. C'est l'effet papillon dont le battement déclenche un cyclone dont vous devenez le cyclope. Mon oeil? Eh bien, qu'est-ce qui fait le danger du Boulet: son chaos déterministe (rien n'est dû au hasard, et ce, magré les apparences) et sa capacité à vous aveugler, vous séduire, vous détruire.
Parfois, lors d'une crise finale, pris dans son enfermement schizophrénique, il manifestera sa supériorité, son aspiration à l'émancipation tout en vous reprochant d'être vous, clamant ainsi la légitimité qu'il a de vouloir vous déposséder de votre identité! Le Boulet devient alors un artificier dont le cadeau démesuré, transmis avec émotion, vous explose au visage. Il se fait ouvertement le terroriste kamikaze, le guerillero à pas feutrés qui foule aux pieds le principe essentiel au coeur des relations humaines: la réciprocité.

Un jour, dans un avenir peut-être proche, anthropologues, sociologues et autres philosophes s'accorderont-ils pour dire que "L'enfer c'est le Boulet!" ou que "Tout Boulet est fasciste car il force à dire comme à faire". Il me semble déjà déceler dans cette boule d'égoïsme et d'orgueil désespéré l'archétype de l'homme postmoderne, tiraillé entre son incapacité viscérale à s'aimer et son aspiration à être (l')autre.

Trendance

mercredi 2 janvier 2008

"Du danger de la Crispation" par Trendance

Dans le lexique français, un de mes mots préférés est "crispation", tant pour ses sonorités que pour ce qu'il implique.

Ce mot m'est revenu avec plaisir et violence quelques jours après Noël alors que je me délectais à ne rien faire.

Samedi dernier, je me suis retrouvé devant l'émission "Reportages" de TF1. Il s'agissait d'une énième rediffusion traitant cette fois-ci de rencontres fortuites dans les transports en commun. Ces belles histoires avortées dans l'oeuf par manque de courage ou d'à propos.
Cette conclusion s'imposa rapidement: le romantisme n'est que rarement de mise non pas par manque d'affinités mais en raison d'une timidité paralysante. Le plus souvent, la crispation l'emporte sur le désir.
Mais le grand enseignement de ce programme réside dans le fait que de cette crispation naît le fantasme. La passivité rend possible la frustration qui engendre elle-même le fantasme. Ceci serait relativement séduisant si ces personnes tiraillées entre le souvenir ému d'un regard ou d'une silhouette et la prise de conscience de son manque d'initiative ne se retrouvaient pas dans un enfermement au sein duquel se mêlent regrets et remords. Il faut être fort pour se confronter à l'Autre, même ou surtout dans une entreprise de séduction. Mais c'est précisément à cette condition que l'on se fortifie soi-même.

La Chine, si conquérante de nos jours, puise en partie sa motivation dans l'occasion râtée qu'ont représenté les sept expéditions de Zheng He sous la dynastie Ming. En effet, cet explorateur chinois du 15ème siècle, parvenu jusqu'en Afrique, voire en Amérique, n'a jamais été mû par des visées expansionnistes et bellicistes. L'échange culturel et commercial suffit à étancher la soif de prestige de l'Empire du Milieu. De par son mode d'interaction superficiel car à court terme, Zheng He a donc laissé la place aux Christophe Colomb, Cortes, Magellan, Cartier, Bougainville, Cook et autres Livingstone dans le grand livre de l'exploration mondiale. C'est cette occasion ratée, cette crispation favorable au repli sur soi et à l'enfermement que les Chinois combattent aujourd'hui: les Jeux de Pékin 2008, leur diaspora, leur dynamisme commercial.

Hier soir, le journal de 20 heures de France 2 mettait en avant la bombe à retardement que représentait le poids croissant des retraites. Les quinquagénaires sont, avec les jeunes, les grands exclus du marché du travail, au moment même où le concept même de vieillesse doit être repensé: les retraités deviennent une cible marketing de la société de consommation et de loisirs tant leur bonne santé et leur dynamisme sont tangibles. Le reportage rapellait que les préretraités sont un luxe aberrant que l'on ne pourra plus s'offrir sous peu. Malgré tout, notre société vieillissante cultive à la fois le jeunisme et la peur de l'Autre générant des "sans-papiers", ces forces-vives dont on ne pourra bientôt plus faire l'économie. Car l'un des enjeux de la concurence qui nous oppose aux pays émergents portera très bientôt sur le capital humain et sur la capacité à mobiliser la plus large population active possible à des fins de production de ressources.

A la manière des amoureux des transports publics ou de la Chine moderne, la France se trouvera dans l'obligation de produire des efforts surhumains afin de se départir de cette crispation qui prend parfois la forme d'une xénophobie, d'une peur de l'Autre: la peur des jeunes, la peur des vieux, la peur des banlieues, la peur du surendettement, la peur de l'expulsion, la peur de la stigmatisation, la peur de la peur...

Cette phobie, je l'ai vécue avec violence aux Etats-Unis lors de mes voyages dans les années quatre-ving dix. Au-delà des clichés qui gravitent autour de ce pays (les gratte-ciels, les fast-food bon marché, les Noirs aussi branchés que solidaires, les limousines...), ce fut peut-être le trait le plus marquant. J'y ai vu des systèmes d'alarme perfectionnés dans les maisons privatives, des casques portés par des cyclistes, des agents de sécurité employés sur les campus, des avertisseurs sonores qui retentissent lorque l'on ne boucle pas sa ceinture de sécurité: ces signes banals de la peur quotidienne de l'Autre! L'Amérique est encore à l'avant-garde et demeure ce miroir dans lequel on devine ce que la France sera dans quelque temps.

D'où ma résolution d'écrire ce blog, de prendre la parole par le clavier, de m'affranchir d'un état de crispation. On parle souvent du devoir de mémoire, du principe de précaution; je veux ici invoquer l'impératif de pensée. Ce blog est pour moi un acte militant, un acte d'échange contre l'enfermement et pour la Créolité chère à Edouard Glissant, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant.

Dans mon esprit, la crispation est plus qu'un état de tension, de contraction puisque "Crisp", c'est aussi en anglais, l'onomatopée d'un craquement, d'une brisure. Et si ce "crisp" que j'ai décelé chez ces jeunes voyageurs épris de rencontres et d'amour sur TF1 n'était que l'écho de celui d'une société menacée par l'inertie et la peur?
Mais n'est-il pas convenu de dire qu'à tout problème correspond sa solution?
Cette (ré)solution participe de l'évidence même: le plan de lutte contre la crispation est intimement lié à la respiration car point de décontraction sans inhalation. Toutefois, à l'horizon de cette décrispation pointe un nouvel obstacle: et si respirer ne se résumait finalement qu' à faire sien l'Autre, cet Extérieur menaçant, qui à l'image de la fumée de cigarette, cristallise les peurs et renforce le désir d'isolement! Aux victimes du fléau de la crispation je veux donc "prescrire" cette phrase que tout général romain triomphant s'entendait dire par un esclave: "memento mori", i. e., "souviens-toi que tu vas mourir!"

Trendance